Tuesday, May 12, 2020

Georges


Georges

On était à la fin du mois de juillet et la Provence flambait. J’avais débarqué la veille à Marseille avec, en poche, une permission d’une semaine à passer dans ma famille.  Nous étions, ma gueule de bois et moi, entrain de poireauter au buffet de la gare de Béziers en attendant la correspondance pour Perpignan.
Ça faisait plus de six heures que je prenais racines dans le patelin, étant comme d’habitude grimpé dans le premier train « filant vers l’Ouest » sans me soucier de la correspondance.
C’était chaque fois le même bordel, mais ça ne me posait aucun problème car d’une certaine façon je trouvais mon compte à passer quelques heures dans Béziers où, suivant un rituel établi, je faisais, mais pas forcément dans l’ordre, mon « tiercé touristique », à savoir : cinéma, sandwich et bar à putes.
J’avais atterri « Chez MARGOT », la générale. J’aimais bien ce petit lupanar très intime où derrière des vitres colorées et des rideaux épais, le cul sur un bon coussin, on pouvait fumer, picoler et peloter une fille jeune, jolie et surtout pas farouche pour deux sous. Enfin pour deux sous, façon de parler parce que, quand je ressortais de chez Margot j’avais le larfeuille considérablement allégé.
On appelait Margot « la générale » parce que dans le temps elle avait été maquée avec un adjudant de l’Infanterie de marine, ça l’avait d’ailleurs  rendue tellement patriote la daronne qu’elle mettait des petits drapeaux bleu, blanc, rouge un peu partout derrière le comptoir.
J’ai du siffler une demi-douzaine de bières avant de me laisser tenter par une petite pute sympathique au sexe si étroit que j’ai eu la curiosité de lui demander s’il y avait longtemps qu’elle « travaillait ». Ce à quoi elle a répondu :
- Seulement deux mois, pourquoi?
Elle était brune, pas très grande, la taille fine, les seins petits et les jambes un peu fortes. Au-dessus du lit, quelqu’un avait cloué deux chaussons de danse roses, défraîchis, passablement usés. Elle m’a dit qu’ils lui avaient servi il y avait pas si longtemps.
Elle s’est revêtue plus vite que moi et en sortant m’a lancé en souriant:
- Tu traînes pas, hein matelot et en sortant ne ferme pas la porte s’il te plait.
Je suis redescendu et j’ai continué à picoler. Y avait toujours de la bonne musique chez la générale et jamais quelqu’un pour te prendre la tête. Il faisait chaud dans le bar, toute la bière que j’avais ingurgitée commençait à faire son effet et je suis allé pisser. Dans les chiottes il y avait un jeune type qui était entrain de dégueuler. J’ai pissé, me suis lavé les mains, balancé un coup de flotte sur la gueule et j’ai quitté le bar.
Suis retourné vers la gare, j’ai acheté un sandwich merguez, puis je suis allé récupérer mon sac de marin que j’avais mis à la consigne.
Quand le train pour Perpignan est arrivé, j’avais la tête lourde, la bouche pâteuse et qu’une envie, trouver une bonne place peinarde dans un compartiment vide et dormir jusqu’à ma destination finale.
Le train est arrivé ferraillant et puant; Dans son sillage une houle d’air surchauffé m’a pris à la gorge, serré le colback, putain d’été.
Je suis monté dans le dur, il ne devait pas être loin de vingt-trois heures et les portes des compartiments étaient closes. Les voyageurs avaient commencé leur nuit.
Dans le train à l’arrêt il faisait encore plus chaud. J’ai arraché ma vareuse et l’ai enfoncée dans mon sac. J’ai ouvert la première porte qui se présentait. Deux guiboles barraient le passage. Dans le compartiment quatre personnes semblaient roupiller. Les guibolles appartenaient à un monsieur âgé.
Je l’ai secoué par l’épaule et j’ai lâché :
- Hé pépé! Tu tires tes jambes!
En face du vieux quelqu’un à gloussé. Un léger rire de femme amusée, la seule qui ne dormait pas sans doute.
Le vieux a rangé ses jambes sans moufter.
J’ai balancé mon sac dans le porte bagage et me suis affalé comme un poivrot cuité, auprès de la fille.
On a quitté la gare, le train filait sur les rails, la fenêtre était entr’ouverte, mais putain, ce qu’il faisait chaud. J’avais mal à la tronche et je sentais que l’envie de gerber n’était pas loin.
Nous étions donc cinq dans le compartiment, le vieux en face de moi qui était reparti dans les bras de Morphée, puis un couple de gros entre lui et la fenêtre et qui roupillaient aussi. De l’autre côté, un autre mec en T-shirt blanc et short et à côté de moi la nana qui s’était poilée quand j’étais entré.
Elle, elle ne dormait pas. Elle était bras et jambes croisées et ses grands yeux ouverts regardaient la veilleuse. Elle portait un chemisier clair et une jupe sombre, courte,  remontée sur ses cuisses.
Dans ma caboche c’était « le chemin des dames », j’avais envie d’en griller une et j’ai un peu gigoté pour choper mon paquet de cigarettes et mon briquet. Ma main a effleurée la hanche de la fille et elle m’a regardé. En temps normal, timide comme je l’étais avec les filles, j’aurais détourné vivement les yeux. Mais la bière me donnait de l’audace et sans penser à rien de particulier, j’ai soutenu son regard.
Dans la pénombre je voyais ses yeux sombres et devinais des cheveux bruns ou châtains qu’elle portait mi-longs. Elle cilla deux coups et baissa les paupières.
J’étais sorti dans le couloir pour fumer ma cibiche. J’avais ouvert en grand la fenêtre et laissais mon visage se faire fouetter par le courant d’air. Je tirais sur ma cigarette en me demandant bien si j’allais tenir le coup sans aller au refil lorsque le contrôleur passa.
Il avait ouvert la porte du compartiment et allumé le plafonnier.
- Billets SVP!
J’avais mon billet dans ma vareuse et j’ai du récupérer mon sac, en sortir mon vêtement et en extirper mon billet que je filais à l’employé. Il me l’a perforé d’un air blasé. Le vieux a montré une carte et l’agent a hoché la tête. La brune a fouillé dans son sac et a sorti un billet : Hop! Un petit trou. Le couple de gros et le mec en T-shirt y sont passés.
- Merci M’sieurs dames, bonne fin de voyage.
Il a éteint le plafonnier et je me suis réinstallé à côté de la brune. J’avais eu le temps et le loisir de la détailler et je ne m’en étais pas privé. Belle fille, visage de porcelaine, petit nez un peu retroussé, grande bouche rouge, joli balcon et pour le reste, j’aurais gagé mon pompon que c’était du super choix. Mais pas pour ta pomme, pauvre con, pensais-je.
Sous mon crâne, les forgerons Dogons semblaient se fatiguer de fracasser leurs enclumes et le TAGADAC des roues sur les rails, le bercement du train et la fatigue m’endormirent enfin.
Le vieux s’était levé,  envie de pisser,  sans doute et son genou avait heurté les miens. Et merde.
- Scusez-moi, avait-il soufflé.
J’ai levé la main droite pour lui dire de ne pas s’en faire et me suis soudain rendu compte que ma voisine dormait LA TÊTE APPUYEE SUR MA PUTAIN D’ĒPAULE.  Oh mec, merde! Attends, qu’est-ce qui m’arrive, j’ai dit dans ma tronche. Je me suis un peu tordu le cou et j’ai vu son joli front à la hauteur de ma joue et un peu plus bas son petit nez à demi enfoui dans le tissus de ma chemisette de drap blanc et un peu plus bas encore, sa grande bouche entr’ouverte. Et je sentais contre ma tempe rasée la douceur soyeuse de ses cheveux. Et je percevais AUSSI l’odeur légèrement musquée qui montait de son chemisier. Et cette odeur de fille chaude. Et cette sensation de VIE à côté de moi.
J’ai imaginé finalement cette exquise petite chose humide et rose, tapie sous quelques grammes de dentelle. Cette chose qui ne me serait jamais destinée, que mes pièces de monnaie ne pourraient jamais acheter. Et je fus pris d’une détresse telle… d’une prise de conscience si forte de la dérision de ma vie, que l’émotion m’extirpa un hoquet. Quel con! Et en plus j’tenais la trique! Ah j’avais l’air malin, le cul dans ce compartiment surchauffé, les aisselles ruisselantes et la tête comme un pain de quatre livres à me masturber l’esprit sur ma condition d’humain.
Imperceptiblement je m’étais laissé glisser sur ma banquette, oh mais doucement, pour ne pas réveiller la demoiselle. Sa bouche était à quelques centimètres de la mienne et sur mes lèvres je sentais la chaleur de son souffle.
La porte du compartiment s’est une nouvelle fois ouverte – putain quel bordel dans ce train - et le vieux est entré. Il s’est assis et pour lui donner un peu plus d’aisance - quel brave mec je fais- je me suis reculé.
Mon mouvement avait réveillé la belle inconnue qui avait redressé son visage et me regardait.
Dans la pénombre j’ai souri et elle m’a rendu mon sourire en m’offrant entre ses lèvres délicieuses le reflet blanc de ses dents.
Je m’étais raidit, craignant le pire, qu’elle se redresse; s’éloigne et s’endorme loin de moi, mais ELLE A REDĒPOSĒ SA JOUE SUR MON ĒPAULE et à fermé les yeux.
Sa bouche était encore plus près de la mienne et mes narines enivrées percevaient une suave odeur de vanille. Je n’avais qu’à poser mes lèvres sur les siennes. Qu’est-ce que je risquais ? Je sentais, je SAVAIS qu’elle serait consentante, qu’elle ne m’aurait pas repoussé.
Mais la nausée, comme une marée tenace, m’avait à nouveau submergé. La TERREUR de vomir là, aussi proche de ce visage déjà aimé me glaçait, et pourtant je suffoquais. Y avait-il un Dieu qui me permettrait de durer, d’éradiquer cette envie de gerber? Mais il devait être occupé ailleurs Dieu, et moi, en revanche pauvre diable j’ai  soudain compris que ce que j’avais bu dans la soirée je n’allais pas pouvoir le garder.
Rudement je me suis dressé. La tête de l’inconnue à vacillée heurtant le dossier de siège. J’ai ouvert la porte du compartiment et me suis précipité à toute vapeur vers les toilettes du wagon. ELLES  ĒTAIENT OCCUPĒES! Merde, j’ai traversé le soufflet tout proche et me suis trouvé dans le wagon suivant. Sur la porte des toilettes un écriteau « CONSIGNĒ », re-merde. Je me suis terré dans le soufflet prêt, si la nécessité l’exigeait à vomir là, mais par chance les toilettes de mon wagon se sont libérées et j’ai pu pénétrer dans les WC. Là je me suis soulagé, retourné comme une chaussette, cramponné au rebord de la cuvette des WC je vomissais toute la bière de la soirée et le sandwich aussi et encore la bière, toujours la bière, je n’en finissais pas de dégueuler. Je m’en étais mis sur le devant de ma chemisette et sur les mains. Par bonheur le lavabo fonctionnait et le savon liquide avait été récemment approvisionné. Je me suis lavé et après m’être rafraîchi la figure et les mains je me suis retrouvé dans le couloir du wagon.
Le train roulait à vive allure et longeait l’étang de Fitou. Je m’étais placé à la fenêtre et je respirais à pleins poumons l’air tiède et salin. Au-delà de l’étang je voyais le faisceau d’un phare. La lumière provenant du train découpait sur le remblai une bande mouvante de décors ruraux - ferroviaires. Ivre d’air, je me retirais de la fenêtre et allumais une cigarette. Je repensais à la fille et maudissait la nausée qui m’avait chassé d’auprès d’elle. J’avais dans le nez l’odeur de son corps, celle de son haleine, j’aurais bien aimé reprendre le cours de notre histoire là où je l’avais laissée.
Je rentrais dans le compartiment dans une indifférence générale. Le vieux dormait toujours la bouche ouverte et ronflait comme un sonneur. Le couple dos à dos dormait également. Même occupation pour le gars au T-shirt qui, le visage contre la vitre, les yeux fermés rêvait sans doute à sa maman.
La brune dormait elle aussi, ou faisait semblant, les mains croisées sur le ventre, les yeux et la bouche clos mais ouverts vers quels songes ?
Je me suis assis doucement et me suis recroquevillé contre la cloison, loin de la tiédeur de la fille.
Le train roulait, roulait, tintements de cloches d’un passage à niveau, craquement de voix d’aiguillages. J’écartais le rideau, essayant d’identifier quelque lieu. Je vis, dans son halo orange et plaqué devant la plaine, la silhouette d’une forteresse militaire : SALCES. Putain ! J’étais plus très loin de la gare d’arrivée.
Je me dressais sans hâte, saisissant mon sac. A côté, une petite valise, celle de la brune assurément. Une étiquette pendait de la poignée. Furtivement je l’arrachais l’enfouissant dans le creux de ma main.
Je fis coulisser une nouvelle foi la porte du compartiment et me trouvais dans le couloir. A l’intérieur personne n’avait bronché.
Le train passait sur le pont de l’ Agly, je devinais dans la pénombre, le squelette asséché de la rivière; Drôle de truc qu’un cours d’eau irrégulier. En hiver il peut être torrentueux, mais l’été il n’est plus qu’un pipi de chat.
RIVESALTES approchait, les mâchoires de freins faisaient crier les roues, le train s’arrêtait.
J’étais sur le quai de la gare, personne ne m’attendait, deux minutes d’arrêt. Je lançais un regard vers mon wagon, mais aucune activité ne pouvait être détectée.
Sous le réverbère j’ouvris ma main afin de lire le nom sur l’étiquette. Je l’avais déchirée et l’on pouvait lire : « Georges CRUZ.. », quelques lettres manquaient, merde, elle s’appelle Georges, j’ai pensé.
Le long de la voie ferrée des grillons chantaient au milieu des fenouils. La chaleur de la journée emmagasinée dans le quai de la gare s’échappait, accablante, sous mes pieds.
J’allumais une cigarette, la dernière du paquet, lançais mon sac sur mon dos et sortis de la gare.
Devant moi la rue déserte, en pente, dévalait vers…..
- Et merde! Dis-je entre mes dents.






Christian ALLE, un jour, il y a longtemps.



Monday, May 11, 2020



Visage de silence
Étrange et angoissante déferlante
Ombre oblique et céleste
Le coq est mort un soir de brume

Ombre intime, sève profonde
Substance initiale
Visiteuse de mes nuits blanches
Venus impondérable
Dédoublée, vibrante
Humaine et dévorante

Fille sauvage des tropiques
Ta fourrure saigne sur la plage
Fleur de neige et aubes mortes
Enveniment les rideaux.

Terminus de l’enfance
Silence pétrifié
Jardin des solitudes
La vie
Fugace comme un spectre
Crie l’infinie peur
De la mort

Saturday, May 09, 2020

Le veuf



Le veuf

Mes godillots fangeux fantasment de poussières
Mes jambes lasses d’horizons mouillés
Sont chargées de renoncements
Á travers les bocages vides et ternes
Où dans le ciel vide
Les pétales noirs des freux
S’effeuillent
Je semble en quête
De steppes changeantes

Beaucoup de rougeurs
En ce matin
Au dessus des trouées
Pleines de renoncement
Ici une vie s’écoule
Près des souches
Pourrissantes

Chambre à ciel ouvert
Sans lit sans armoire
& sans berceau
Là est un veuf
Qui jamais ne s’endort
Qui jamais ne s’éveille
Sous la voussure des années
Et du trépas
En suspens



Friday, May 08, 2020



Marcheuses, magiciennes,
Mégères capricieuses.

Vous avez l’haleine forte
Des mangeuses d’oignons
Qui se dandinent dans leur fourreau
Où deux fesses mijotent,
Rondes comme des figures.

Mais jamais il n’a fait aussi beau,
Et la lumière est éternelle.



Thursday, May 07, 2020



Ce matin froid
De mi-novembre
J’ai croisé C. dans la rue
Le regard farouche
Tendu vers le lointain
Il allait claudiquant
Mains dans les poches
Le visage rougi par le froid
Et son allure rapide
Pouvait laisser croire
Qu’il savait où il allait

Wednesday, May 06, 2020



Il y avait
Dans la ruelle
Devant la librairie
Ce vieil homme
Tout cassé
Qui marchait
Plié en deux
Comme un danseur grec
De Zeimbekiko
Je l’observait
Qui poussait
Son panier roulant
Mobile et affreux
Dégoulinant
De souffrance
J’étais figé
Il me semblait
Que dans cette venelle
J’étais seul à le voir
Parmi la foule zigzagante
J’aurais tant aimé
Que son regard
Accroche le mien
J’aurais tant aimé
Lui sourire


Tuesday, May 05, 2020




















 La nuit est sombre
 Sombre est la nuit
 Tant mieux pour dormir
 Tant pis pour réfléchir
 Sombre est la nuit
 Elle mangea un gâteau
 beaucoup trop sucré
 Et l’écœurement

 S'en suivit
 La nuit est sombre
 Le dimanche le sera aussi
 Alors elle pensa
 Aux coquilles st jaques
 Et tout le dimanche
 Vide et où la solitude luit
 La nuit est sombre
 Sombre est la nuit
 Puis viendra le lundi
 Et la vie des gens
 Pour qui le silence luit
 Comme le bruit
 Qui fracasse le cerveau
 La nuit est sombre
 C'est pour mieux dormir
 Dit le loup des insomnies
 Le loup qui mange les grands mères
 Qui font semblant d'être vieilles
 Pour dormir la nuit
 Alors que le cerveau bruit
 ML